Hubert Jaulin nous parle de Blacktong et de Mademoiselle O

Le 31 octobre 2023

BLACKTØNG – Mademoiselle O

Blacktøng est un groupe français construit autour de Mathilde Ayrault qui porte ce projet depuis plus de 10 ans. Elle nous présente aujourd’hui un EP « Mademoiselle O » intense, coloré et plein de reliefs.

Alors les plus curieux se demandent sans doute ce qu’est un EP ? Je te remercie pour cette question, lecteur avide de connaissance, il s’agit d’un « court » album (généralement de moins de 8 titres). Mais cela veut-il dire que la qualité est moindre par rapport à un album ?
Eh bien, lecteur de peu de foi, absolument pas ! Mathilde s’est entourée d’une équipe de choc. Guillaume à la basse. Louis à la guitare. Lucie à la batterie et Julie aux cuivres.

Yaël à l’enregistrement, au mixage, à l’orchestration, au rempaillage des chaises et à l’élagage des ficus (oui, c’est un couteau suisse vivant). Et Alexis au mastering (Mister Master, again). C’est un peu comme si les Avengers avaient fait de la musique au lieu de crâner en enchaînant sauvetage du monde et séances de gonflette.

Mais revenons-en, à « Mademoiselle O », Ep à son emballage aussi intriguant que plein de promesses.
En effet l’ « Art-cover » comme disait le regretté Jeff Buckley au lieu de prendre des cours de natation, est une peinture de la capitale, dans la pénombre d’un début de soirée. Au premier plan, on trouve un sablier où le contenu est composé d’un liquide s’écoulant goutte à goutte. Au sein de celle qui tombe, on découvre le visage d’une femme.

Ce début de pénombre et le liquide écoulé à moitié nous donne l’impression d’un instant suspendu, qui marque une rupture. Une pause avant un nouvel état ?
La femme, représentée dans la goutte, a une larme à l’œil comme l’annonce d’une aggravation de la situation. Enfin, le sablier a la forme du 8 de l’infini, et la mise en abîme goutte / larme semble indiquer l’inexorable déclin, lent et immuable de ce monde crépusculaire.
Ceci annoncerait-il un album qui évoque les maux du monde ?
Avant d’obtenir les réponses à ces questions, on peut féliciter le groupe de ce choix de cover qui interpelle et intrigue.
Maintenant, place au contenu !


« Saut de Page » introduit l’EP.


Le morceau démarre par un break de batterie qui interpelle avant une explosion de guitares, basse et les cuivres de Julie. Ça sent bon l’énergie rock bercée par des sons pop et évoque les albums de rock indé des 90’s que j’ai tant écouté… (oui, je sais ce que tu te dis lecteur sympathique mais un peu moqueur, mais non… Je ne suis pas vieux mais plein de sagesse). 
Les couplets évoquent la frustration de subir des règles jugées absurdes ou contre productives.
Les chœurs accompagnent le chant principal et appuient le sentiment de mélancolie ressenti face à ce constat.
A cet instant, je ne peux m’empêcher de penser à des groupes comme Cake ou REM. Ils portaient, à l’instar de ce morceau, à la fois une petite pointe de cynisme dans leurs textes. Et aussi un enthousiasme musical dressé comme un étendard de résistance face à un avenir s’assombrissant peu à peu. Et me voilà avec un sourire au coin des lèvres.


On sent qu’on va avoir du fond au niveau du texte tout au long de cet EP. Mathilde porte une poésie riche et délicate qui nécessite de s’appesantir sur son message. C’est certes, un peu plus exigeant qu’écouter un discours de populiste. Mais ça déclenche moins d’envie de faire souffrir son auteur…
Mais je m’égare, le morceau nécessite donc qu’on s’appesantisse sur son message, mais sans pour autant devoir se mettre en PLS en attendant la fin du monde. En effet Mathilde nous propose SA technique pour repousser la déprime qui nous guette !


Il s’agit de l’idée du saut de page qui permet de repartir sur un avenir neuf du poids d’un passé décevant. Cela permet d’affronter la suite avec confiance même si l’effet n’est pas garanti. Le pont initié par un break de batterie et rejoint par une basse sombre et sèche souligne l’aspect artificiel de ce « reboot ». Mais il est très vite remplacé par un joyeux déni, presque infantile, assumé pour éviter le renoncement. La musique redevient alors entrainante et solaire avec ses cuivres et ses guitares qui illuminent l’ensemble soutenus par un duo basse batt’ qui semble avoir retrouvé l’espoir.


Un premier morceau qui répond parfaitement aux promesses de l’imagerie de l’album. Voici 2’44 parfaitement utilisées pour un morceau vif et intelligent !


Le Diable l’Emporte


Ce morceau poursuit, dès l’introduction, cette ambiance ambivalente qui semble être le fil rouge de cet album, grâce à une guitare au son clair et enjoué qui « s’oppose » à la première guitare acide et nerveuse.


Mathilde évoque dans ce morceau le retour de quelqu’un qui s’était éloigné d’elle. Elle accueille ce come-back avec un plaisir prenant le pas sur la rancœur d’une séparation qu’on imagine abrupte. Comme s’il valait mieux profiter de ces instants à nouveau partagés plutôt que de les gâcher à ressasser. Cependant, cet état d’esprit positif n’est pas la preuve que tout est oublié. Plutôt que cette ancienne relation est presque digérée, que la plaie s’est quasi refermée et qu’il ne manquait pour clore ce chapitre, que la discussion qu’offre cette rencontre.


Musicalement, le morceau est porté par une superbe ligne de basse qui accompagne l’excitation de cette rencontre. Sur la dernière partie du morceau, le rythme et l’intensité redescendent, comme pour mieux accompagner l’intimité de la conclusion nécessaire à cette relation.
J’aime beaucoup cette idée d’un temps de mise au point nécessaire pour clore un chapitre de sa vie, dépassionné et apaisé, permettant de passer réellement à autre chose. Le morceau porte ce message avec justesse et poésie.


Mademoiselle O


Nous voici à la moitié de l’album avec le superbe titre qui donne son nom à l’EP.
Il évoque ces anonymes qui ne parviennent pas à trouver leur place dans un monde qui n’a que faire d’eux.
Mademoiselle O est de ceux-là / celles-là, perdue, « inadaptée » au modèle imposé par le rouleau compresseur du monde moderne.
Le morceau est soutenu par une batterie sèche et très claquante qui semble rappeler que ce n’est pas au monde à s’adapter. Le rythme est là, tu dois le suivre. C’est marche ou crève.
Progressif, l’instrumental donne de plus en plus de place aux claviers (les seuls de l’EP) qui, sur la fin du morceau passent d’un simple accompagnement à une boucle qui tourbillonne de plus en plus et donne une impression de vertige.


Le débit et la présence du chant de Mathilde accompagnent parfaitement cet effet d’emballement et cet écart toujours plus important entre les aspirations personnelles de cette « originale » et la direction d’un monde sur lequel elle n’a pas prise. On se projette facilement ce qui prouve la qualité du récit.


Le morceau se conclut avec un magnifique effet d’un son disparaissant au fur et à mesure d’une immersion. Mademoiselle O s’enfonce dans l’eau comme pour échapper au bruit assourdissant du monde. L’image est parfaite, le son également.
Ce titre est impressionnant par la force de son message appuyé par une mélodie hypnotique et d’une efficacité rare.


Mademoiselle O par Hubert Jaulin

Indemne


Voici le retour du son rock teinté de pop et un brin vintage du premier titre Saut de Page qui marque «également le retour des trompettes de Julie. On y retrouve le son qui a fait le succès de REM avec une dose d’influence des Pixies. Et ça fonctionne parfaitement.
Entrainant, rythmé, parfaitement exécuté par le groupe qui déploie une énergie incroyablement communicative.
Cet instrumental permet à Mathilde de rappeler qu’elle est la somme d’expériences qui l’ont modelée / cabossée. Si elle semble s’excuser de ne pas être plus lisse, on retient finalement qu’elle est authentique et que sa personnalité s’est forgée en réaction aux épreuves rencontrées.
Au final ce morceau transpire l’espièglerie et l’outrance d’assumer une personnalité forte tout en clamant l’inverse. Cela ne correspond pas à la norme mais qu’y a-t-il d’héroïque à rentrer dans un moule ?
Ces excuses ressemblent à s’y méprendre à un appel à assumer sa personnalité qui rappelle l’idéologie punk avec la dérision et l’esprit de subversion sous-jacent. Elle s’excuse à l’infini et on entend « allez bien tous vous faire cuire le cul, je suis comme je suis et il faudra faire avec » ! Ça tombe plutôt bien, c’est ce dont on a besoin.


Mappebombe


Le quintet poursuit son programme avec un morceau au son très rock et rageux « Mappebombe ». Les Blacktøng en avaient gardé sous le pied et ont bien l’intention de montrer qu’ils ont des messages à faire passer. Ici il s’agit d’évoquer la transgression, les choix forts d’aller où l’on veut et non où l’on cherche à vous (la) mettre.
Après une solide intro aux rythmes d’une batterie syncopée sur lesquels reposent guitares et cuivre très mélodiques, le chant invite à franchir l’interdit pour vivre et ressentir l’intensité des découvertes.
S’en suit une alternance entre moment mélodiques et parties très rythmées et scandées au chant. Cet enchainement donne une impression d’urgence au morceau qui le rend très entraînant.
Mention spéciale à la section rythmique qui ajoute un petit sentiment de risque au ton du morceau.
Les guitares sont épaisses et presque en second plan pour soutenir les parties plus mélodiques marquées par la présence de la trompette qui apaise alors le morceau.
La construction du morceau est superbe et d’une grande cohérence entre les parties fortes et les respirations.


Signifie-lui


Nous voici déjà à la fin de cet EP et le groupe envoie un message d’amour et de protection à l’environnement. Pour l’occasion, la double pédale de grosse caisse est de sortie et le groupe envoie du rock. Le temps n’est plus à la réflexion, l’heure de l’action est passée, c’est désormais le temps des remords.
Les trompettes, évoluent entre hymne et oraison pour accompagner ce constat de gâchis.
Une nouvelle fois Blacktøng évoque un constat acide (comme les pluies) mais le fait avec une énergie rock qui pousse plus à la réaction qu’à l’apitoiement ou au renoncement. On partage le constat mais même si le match semble plié, on ne renonce pas.
Au passage on remercie l’intégralité des décideurs pour leur fausse bonne volonté à améliorer les choses (en même temps, mère Nature paye quand même sacrément moins que les lobbyistes).


Mademoiselle O est un EP riche à l’instar de ses textes poétiques et nécessitant une écoute attentive pour en comprendre la subtilité des messages. Le groupe adapte sa musique avec pertinence et bonheur en fonction de chacune des ambiances et intentions des morceaux. On passe ainsi par différents styles musicaux dont la synthèse rappelle avec gourmandise les groupes indé des 90’s. On retrouve du rock, de la pop, du stoner, du punk, du progressif… sans que l’ensemble ne souffre d’absence de cohérence.
La prod’ est impeccable, léchée, pertinente et pleine de petites surprises et de jeux de mixages bienvenus.
Un bel EP annonciateur de belles scènes et d’un futur radieux !

Ecouter l’EP « Mademoiselle O » de Blacktong


Hubert nous parle d'Helichryse
Hubert Jaulin

Chroniqueur pour FPPA

Bassiste de Cargo


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Mademoiselle O par Hubert Jaulin